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Le French Boogie

Cover Chagrin D'Amour - crédits dessin : Denis Hoch / Magma

« Ce soir, on sort, on oublie nos galères, Ce soir, on sort et on oublie tout. » Dans Histoire d’un soir, tube incompris sorti en 1983, Brigitte Gasté alias Bibi Flash décrit une virée nocturne et résume au passage la quintessence du french boogie en quelques phrases simplettes et quelques lignes de basse mutine : une ôde quasi constante à la fête, aux amours légères et à la jeunesse éternelle. 

À grands renforts de textes frivoles, d’instrus funky, de synthés groovy et de refrains addictifs, ce style musical aux accents funk, disco et new-wave apparu au début des années 80 érige la boule à facettes comme phare d’une génération qui jouit encore du luxe de l’insouciance.

1980 et des bricoles. La gauche est enfin au pouvoir, Bernard Tapie porte de rutilantes Ray-Ban, les français viennent d’obtenir une cinquième semaine de congés payés, le Minitel pointe le bout de son clavier, les propos libidineux échangés sur les toutes nouvelles radios-libres font rougir les ondes et des centaines de Bronzéss’enjaillent dans les clubs meds. Et si l’ombre du sida et les émanations de Tchernobyl planent sur le moral et ternissent le tableau, l’heure est globalement à la bamboche. Comme souvent, la musique se révèle l’expression cathartique de l’époque et se décline ici en excentricités discoïdes. Les compilations jubilatoires France Chébran de Born Bad Records et Disco Sympathie de Versatile, sorties respectivement en 2015 et 2014, reflètent parfaitement  la bande-son de l’ère Mitterrand en nous téléportant dans l’ambiance des clubs de l’époque.

 

Sur les platines de discothèques banlieusardes et provinciales plus ou moins confidentielles, mais aussi dans certains clubs branchés de la capitale, défile un mélange hétéroclite de peoples en goguette, de djs enjoués, d’américanophiles frustrés et de mannequins, comme la chanteuse de New Paradise. Pas forcément musiciens dans l’âme, mais tous ou presque issus du haut du panier de la hype d’une décennie vampirisée par le bling-bling, l’apparence, («Playboy, playboy, Playboy en panne de tendresse»), le culte de soi et une certaine hystérie consumériste. Chacun y va de sa petite chansonnette naïve, efficace et dansante, taillée pour les pistes et les ondes, histoire de tenter de percer en sortant le tube de l’été. Les basses slappent, les synthés scintillent, les prods sont funky et guillerettes en toute circonstance, qu’importe le sujet du morceau. Ce qui peut s’avérer clairement malaisant lorsqu’il s’agit d’accompagner des paroles glaçantes (cf : Bianca – La Fourmi). 

De Club Privé à Anisette en passant par Attaché Case, ces artistes réunis dans une même quête de paillettes et de projecteurs ne seront pourtant pas nombreux à accéder au statut de star. Victimes d’un succès aussi fulgurant qu’éphémère, la plupart des titres boogie de l’époque finissent aux oubliettes ou sur bidemusique.com, à l’exception notable de quelques uns qui continuent encore aujourd’hui de répandre la joie et la bonne humeur. Parmi eux, l’attachant ‘Chacun fait (c’qui’lui plait)’ du duo franco-américain Chagrin d’Amour (et produit par Patrick Bruel), l’estival ‘Vacances j’oublie tout‘ d’Élégance, l’évaporé ‘L’eau de Nice‘ d’Alec Mansion ou encore l’énamouré ‘Rien que pour toi‘ de François Feldman. Les plus grands se mettent aussi au disco-boogie, Eddy Mitchell en tête, notamment dans un titre, ‘Tu n’dois pas toucher‘ titre précurseur à la fois du rap et du mouvement #balancetonporc.

Au sein de cette discographie potache, on trouve aussi des animateurs de radios libres à l’instar de Yannick Chevalier, ou Phil Barney. Ce dernier participe d’ailleurs à la création de la célèbre radio Carbone 14, sur laquelle il passe énormément de funk et qui sera l’une des premières à diffuser du hip-hop. Lui-même s’essaye au rap en prêtant sa voix au générique de l’émission, le bien-nommé « Salut Les Salauds », composé par le groupe Interview.

Cette ouverture sur l’Amérique des radios libres influence et aura un impact sur la popularité du boogie à la française. Car pour raconter les aventures des jeunes gens du début des années 80, le french-boogie trempe sa plume dans les musiques noires et urbaines américaines et lorgne sans vergogne du côté des instrus de Sugar Hill Gang et du flow des Last Poets. A la croisée des chemins du funk, de la disco, de la variété française et du hip-hop, ces titres et l’aura gentiment interlope de ses interprètes incarnent effectivement les ancêtres de nos propres rappeurs.

En parallèle de l’apparition du smurf, du scratch et de la breakdance, les artistes se mettent à rapper-chanter en franco-anglais sauce yaourt, pour un résultat plus ou moins heureux et qui apparaîtrait aujourd’hui comme relevant d’une touchante – et jubilatoire ! – ringardise. On assiste à la naissance d’un rap franchouillard, un peu comme si un vieil oncle gênant tentait un freestyle à la fin d’un repas trop arrosé. 

En plus d’avoir remplacé le chant par le fait de scander les paroles, les arrangements se teintent de sonorités orientales et africaines. Entre l’émergence d’une seconde génération d’immigration dans les banlieues parisiennes, la diffusion sur les radios libres et communautaires de reggae et autres « musiques du monde »  et la volonté de valoriser les musiques actuelles à travers les toutes jeunes MJC et Fête de la Musique, le contexte de l’époque en effet est un terreau fertile pour l’éclosion de musiques métissées. Affectant en outre une certaine appétence pour les sunlights et les tropiques, le french-boogie se fait l’écho de l’esprit « Touche Pas à Mon Pote » tout en restant politiquement neutre et superbement superficiel.

Cette bande son de jeunes cultive en effet une frivolité que ne renierait pas Laurie Destal. Une légèreté qui fait mouche encore aujourd’hui, la hype contemporaine n’en finissant pas de se lover dans un éternel revival eighties. À commencer par les soirées électro qui se nourrissent allègrement de la scène nu-disco en vogue depuis les années 2000, comme les nuit Belleville Boogie. Depuis 2016, la Java s’anime plusieurs fois par mois au son de la disco et du boogie des années 80, tout en ajoutant des petites touches de house et de musiques africaines. En 2018, Braque de Weimar sort ‘Folie Douce‘, un morceau mélangeant les codes du french boogie et du hip-hop, sur Cracki Records. Le duo de djs France80, initié par Rod Glacial, expert du sujet, rend hommage au genre à chacun de leur set, tandis que le dj Dabeull se voue lui entièrement au funk vintage. Cette frénésie disco qui s’empare des clubs est aussi liée à l’arrivée de producteurs nouvelle génération comme Bon Voyage Organisation ou l’Impératrice.

La relève de la French Touch puise elle-même sans vergogne dans l’héritage funk et disco qui a inspiré leurs ainés, à l’instar de Yuksek et Breakbot. 

Sur le canevas du lâcher prise, on retrouve aussi la pop. Surfant sur la vague sunshine de la pop française du milieu des années 2010, incarnée entre autres par Polo & Pan, Papooz et consoeurs, le french boogie sauce pop fait le plein de vitamine D et continue de célébrer l’hédonisme. Résolument dansante, la pop n’hésite pas à piocher dans des influences aux années 80 et dans l’italo-disco, qui fait encore vibrer les jeunes branchés d’aujourd’hui. De Sébastien Tellier à Lewis Ofman, les synthés n’ont plus que le groove à la bouche. En 2016, le trio toulousain Hypnolove échauffe les coeurs avec son titre solaire ‘La Piscine‘ et en remet une couche en 2019 avec ‘Marbella

Ce tube calibré pour l’été, d’un kitsch assumé et rafraîchissant, qui reprend l’oisiveté chère au french boogie ! Un flegme que l’on retrouve chez Charlotte Fever « duo de synth-pop caniculaire » et son ‘Gang Naturiste‘. Le Noiseur, lui, joue tendrement la carte de la nostalgie avec son bien-nommé ‘Summer Slow 88‘.

Côté remix, nombreux sont les arrangements boogiesques qu’on a pu entendre ses dernières années, comme ceux de l’exotique ‘Coco’ des Yeux Orange, ‘Ça fait du bien‘ d’Antonin par Polo&Pan ou encore celui de ‘L’amour peut-être‘ de Ricky Hollywood feat Bertrand Burgalat par Nit. 

Enfin, même les disquaires s’y mettent, comme le prouve l’arrivée dans le 18e de Dizonord, magasin de disques spécialisés dans le boogie et autres styles synthétiques désuets.

Eve Guiraud

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