Des initiatives ludiques pour lutter contre le sexisme dans l’industrie musicale
Comme bien d’autres secteurs, l’industrie musicale n’est pas épargnée par le fléau du sexisme. Disparité des salaires, plafond de verre, discriminations – entre autres – sont le lot quotidien de nombreuses professionnelles, artistes et musiciennes, quand elles ne subissent pas carrément des violences sexuelles, comme le dénonce depuis quelques temps le mouvement #MusicToo.
Heureusement, des initiatives multiples, ludiques et efficaces s’élèvent contre les inégalités de genre qui sévissent encore aujourd’hui dans la musique.
Éminemment masculin, le milieu musical n’accorde aux femmes qu’une place assez limitée. Peu nombreuses aux postes de direction dans les labels ou les établissements, (12% de femmes directrices et programmatrices selon l’association HF Île-de-France), les femmes artistes sont aussi bien moins diffusées que les hommes par les salles de concerts (d’après une étude du CMN, elles représentent seulement 14% de la programmation des festivals de musiques actuelles en 2019) et par les médias. Et au-delà de la scène et des ondes, la musicienne – et l’amatrice de musique – souffrent enfin d’une mauvaise représentation dans les œuvres de fiction : tantôt groupie (Almost Famous), tantôt pendue aux lèvres d’un “sachant” masculin (High Fidelity), elles sont bien rares à incarner dans les films, livres ou séries des artistes à part entière ou de véritables passionnées.
Pour lutter contre l’invisibilisation de leurs consœurs dans le milieu musical, les femmes s’organisent, notamment en se réunissant en réseaux comme shesaid.co ou en partageant leurs expériences au sein de programmes de mentorats féminins comme MEWEM Europa (porté par La FÉLIN) et WHA! (porté par la FEDELIMA), en organisant des événements, en diffusant des émissions ou encore en inventant des jeux de société !
Ainsi, des festivals tels que Les Aliennes, Les Femmes s’en mêlent ou Comme Nous Brûlons proposent un line-up non mixte, alternant entre têtes d’affiches et mise en avant d’artistes émergentes et/ou issues de scènes alternatives (voire carrément underground), avec le groupe Rose Mercie, la DJ Sentimental Rave ou encore la rappeuse Oré. En offrant aux femmes un espace d’expression dédié, ces événements opèrent une riposte à l’omniprésence masculine.
Du côté de Comme Nous Brûlons, festival pluridisciplinaire éminemment inclusif, associant différents collectifs féministes et LGBTQIA+ (notamment Polychrome, Brigade du Stupre, Retard Magazine, Les Amours Alternatives), la programmation affiche clairement ses objectifs militants. Outre les concerts, des rencontres, des tables rondes, des projections et des conférences sont proposées, toujours dans le but de :
“donner de la visibilité au-delà des frontières aux artistes trans, queers et femmes de la scène dite ‘alternative’ encore trop masculine, blanche et normée ».
Et en amont des festivals, des initiatives comme le Filles7 Girl Camp, permet aux femmes musiciennes de se retrouver pour se roder à la scène mais aussi s’initier à la création musicale et à la pratique instrumentale, le tout dans un espace non-mixte encourageant l’éclosion de projets collaboratifs. Même objectif de visibilité pour la webradio Radio Tempête, dont la programmation cosmopolite, 100% féminine, trans et non-binaire permet de (re)découvrir des artistes et des groupes variés et pointus, comme November Ultra, Soap&Skin ou encore Bratmobile. Enfin, on peut aussi mentionner “Ecouter Les filles”, le podcast de Vanity Fair lancé par la journaliste Sophie Rosemont, auteure de Girls Rock, un ouvrage éclairant sur l’histoire du rock au féminin. Temps privilégié de témoignages et d’échanges autour de parcours d’artistes féminines dans la musique, chaque épisode fait l’éloge de la sororité.
Inès Slim, elle, a choisi le jeu de société comme arme de combat anti-patriarcat ! Avec sa société Gender Games, la créatrice a récemment sorti Bad Bitches Only – Music Edition, sorte de Time’s Up féministe axé sur la musique, qui s’attaque spécifiquement aux inégalités de genre dans l’industrie musicale :
“La représentation est au centre du jeu. C’est-à-dire qu’au-delà de n’inclure aucun homme cisgenre dans les cartes (il le faut bien pour rééquilibrer la balance), j’ai veillé à avoir des profils divers de femmes et personnes transgenres et/ou non-binaires. J’ai aussi pris en compte le style musical et les différentes casquettes des artistes. Par exemple, les femmes sont beaucoup limitées au rôle de chanteuse. J’ai voulu faire attention à avoir aussi des compositrices, des musiciennes qui jouent de divers instruments, des femmes bassistes de rock, rappeuses ou DJs, etc.”
L’équilibre des noms en termes de notoriété rend le jeu très accessible. “Parmi les artistes très connues, on peut citer Beyoncé (bien sûr!), mais aussi Barbara ou Nina Simone. Pour les talents plus confidentiels, j’ai mis par exemple la rappeuse sud-africaine hyper féministe Dope Saint Jude ou la chanteuse française Thérèse.”
Bien rigoler en imitant Beyoncé, tout en s’attaquant aux stéréotypes de genre qui gangrènent le milieu musical, c’est le pari réussi de Bad Bitches Only – Music Edition ! Actuellement disponible en pré-commande.
Eve Guiraud