Kompromat
À l’ère des fake news et des soupçons d’ingérence russe dans les élections en France ou États-Unis, Rebeka Warrior et Vitalic démarrent un projet dont le nom renvoie à l’époque, pas si lointaine, de la guerre froide, où l’espionnage semblait tenir lieu de diplomatie. Si les sonorités cold wave et les textes en allemand, lui confèrent une certaine austérité, Traum und Existenz, se révèle à la fois, intime, poétique et dansant.
L’un et l’autre occupent une place à part dans la scène française. Elle, moitié du duo électro-punk déjanté Sexy Sushi, chanteuse romantique et gracile de Mansfield TYA et DJ dont les sets furieux taquinent le hardcore, sur les grandes scènes ou aux platines des soirées queer et underground. Lui, prince discret de la musique électronique à la française, jamais vraiment là où l’on attend, semble s’être fait une place indéboulonnable sur les plateaux des grands festivals dans une débauche d’effets lumineux et de beats ravageurs. Rebeka Warrior ne tourne qu’en DJ depuis bientôt deux ans, semblant avoir mis en pause pour une durée indéterminée ses autres groupes. Vitalic, quant à lui, achève sa dernière tournée, en réactivant son ancien pseudo Dima pour se reconnecter aux petits clubs. Les fidèles du producteur se souviennent sans doute de leur première collaboration, ‘La mort sur le dancefloor’, temps fort de son troisième album Rave Age, collaboration annonciatrice de cet album à quatre mains.
« On a passé l’âge d’exprimer notre rage sur le mode de la blagounette ! », déclarent les deux musiciens. Il y a une forme de colère froide, rentrée, qui sous-tend les 10 titres de Traum und Existenz. Le choix de l’allemand s’est imposé en clin d’œil à Robert Görl et DAF ou Einstürzende Neubauten mais aussi aux poètes allemands comme Rilke ou Thomas Mann qui ne quittent pas le chevet de Rebeka Warrior. On découvre des textes philosophiques où la nature et les éléments occupent une place centrale. Le disque s’ouvre avec ‘Possession’, un morceau intense et spirituel où résonnent des orgues d’église et des chœurs d’enfant. Mais très vite on bascule dans la pulsation métronomique et industrielle de ‘Traum und Existenz’, et puis dans l’efficacité pop de ‘Niemand’, premier tube, emblématique du son de Kompromat, entre post-punk et EBM sexy, pour lequel Vitalic dit s’être beaucoup inspiré du combo américain Crash Course In Science. Au milieu du disque, on respire avec ‘De mon âme à ton âme’, sublime slow amoureux entre Rebeka Warrior et la comédienne Adèle Haenel, qui agit comme une respiration avant les déflagrations ‘Herztod’ (qui signifie tout de même : arrêt cardiaque !) ou ‘Le goût des cendres’. Intense de poésie sombre, l’album de Kompromat est celui de deux artistes bien dans leurs pompes, qui savent se réinventer en s’éloignant du son qui les a fait connaitre. Un disque sans concession, brillant et puissamment attachant.
Antoine Dabrowski
On vous propose d’écouter le très dansant ‘Niemand‘ ici :
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