You Man
À l’occasion de la sortie de leur nouvel EP Altered States, le 25 septembre 2020, sur le label belge Eskimo Recordings, Contra s’est entretenu avec le duo électronique You Man, a.k.a Tepat Huleux et Giac Di Falco qui nous ont fait le plaisir de répondre à nos questions dans le respect des mesures de distanciation sociale.
Une conversation réflexive, philosophique même, dans un contexte particulier autour d’un projet qui a su s’imposer sur la scène électro-disco underground au travers de leur sons et clips hypnotiques, leurs lives, djs-sets et installation de danse interactive.
Le 28 septembre dernier, sortait le premier clip de ‘Altered States’, titre éponyme de l’EP, et bien qu’il ait été tourné avant la crise COVID, ses images étaient assez prémonitoires de ce que nous vivons actuellement !
Comment ça se passe pour vous cette période particulière ?
Ça se passe plutôt bien ! Même si ce qui différencie cette période particulière des autres périodes particulières de nos vies, c’est le simple fait qu’on la vive tous ensemble. Il y a un tas de choses assez étonnantes qui se révèlent en ce moment, et qu’on ne pouvait pas voir avant. Pour comprendre la relativité, Einstein donnait l’exemple du paysage qui défile à toute vitesse pour toi lorsque tu es dans un train lancé à plein allure. À moins que tu ne focalises ton regard sur un point fixe, le paysage se résume à une sorte de flou.
Au-delà de la référence à « human », You Man c’est une injonction ?
(Rires) Non, c’est pas vraiment une injonction, il n’y a pas de raison d’exiger quoi que ce soit de qui que ce soit. C’est surtout un jeu de mot, et aussi une volonté d’orienter le projet vers les autres, vers le public, c’est avec lui qu’on interagit, sans lui on ferait pas grand-chose.
Vous êtes tous les deux guitaristes à la base et vous avez démarré par le rock. Qu’est-ce qui a pu influencer votre évolution ? Et comment composez-vous aujourd’hui ?
C’est vrai, on a joué ensemble dans plusieurs groupes de rock avant. Au fur et à mesure de nos expériences communes ou individuelles, et de nos découvertes musicales, on s’est vite senti limité par les instruments. Il faut dire qu’on jouait pas super bien non plus. Donc on est rapidement passé sur les ordis et les séquenceurs. Et au début, on avait pas du super bon matériel pour enregistrer les instruments, les prises étaient sales, on perdait beaucoup de temps. Ça nous faisait faire des erreurs, on a appris beaucoup comme ça.
Maintenant grâce aux progrès technologiques et les puces de microprocesseurs puissants, on s’est mieux équipé, et on peut chercher des idées avec les instruments. Ça parait plus intuitif et on enregistre tout dans Ableton Live. La production musicale est aussi intéressante que la composition.
On voit beaucoup de références à la pop culture dans vos clips (‘Birdcage’), mais aussi une récurrente allusion aux mass media (‘Birdcage’ / ‘Tutti va bene’), à la manipulation des foules, à la consommation de masse. You Man c’est un manifeste ?
C’est intéressant, mais c’est peut-être présomptueux pour nous, on va dire qu’on est plus dans l’observation. Et comme des éponges, on recrache ce qu’on nous donne à voir. Pour Birdcage, ça pourrait faire penser aux flux de données que les humains envoient dans l’espace si les extra-terrestres pouvaient les voir. Plein d’images et de séquences, qui ne paraissent avoir aucun lien entre elles et pourtant.
Pour Tutti Va Bene, c’est la méthode Coué, en répétant que tout va bien, sur des images où tout ne semble pas aller si bien. C’est comme Matthieu Ricard (un essayiste Boudhiste) qui dit que nous vivons l’une des périodes les plus calmes de l’histoire en nombre de morts violentes et de guerres, et paradoxalement on a l’impression de vivre l’une des périodes les plus troublées. Qui croire ? Qui manipule qui ? On ne sait pas mais ça nous inspire.
Quel.le.s artistes ont pu vous inspirer en ce sens dans leur approche artistique ?
On a été fortement inspiré par les 2 many dj’s, à Gand, et qu’on a dû voir jouer une bonne dizaine de fois. Leur manière de mixer était réellement révolutionnaire. Ils ont justement tout mélangé, cassé toutes les barrières entre les styles, Grunge, Rap, Métal, Dance, Pop niaise, Électro pointu, en éditant les transitions jusqu’au mash-up ! C’était les premiers à faire ça avec autant de brio. À l’époque, c’était très rafraîchissant.
Duo électro, clin d’œil aux « human » (cf. Human After All), approche technologique, influences Chicago House… Tout ça donne à voir quelques similitudes avec les débuts de Daft Punk, pourtant votre musique est restée bien plus fidèle au milieu underground. Ça a été une inspiration pour vous aux débuts ?
Oui bien-sûr, ça a été une inspiration surtout dans le sens où c’est peut-être un peu con, mais à l’époque, toute la musique qui venait de France nous semblait ringard. Et là, quand on les a découverts, on s’est dit « mince c’est vraiment trop bien, ah mais c’est dingue en plus ils sont français, c’est pas possible que des français fassent un truc si cool !! »
Du coup, plutôt qu’une French touch, on sent une forte influence de / attache à la Belgique. Vos références incluent notamment, vous l’avez dit, 2 Many Djs, et Soulwax. Altered States est sorti sur Eskimo Recordings, label belge. Qu’est-ce que vous pensez de la scène underground belge actuelle ? Et française ?
C’est vrai qu’on est très influencé par la scène belge. On a baigné jeune dans ce côté New Beat, qui est propre à la Belgique, et aussi très populaire dans le Nord Pas de Calais. On a pas mal arpenté les clubs de la frontière et aussi de Gand, où nous allions au Culture Club, aux énormes soirées Eskimo justement !
Dans la scène underground belge actuelle, on connaît DC Salas, Laurence Le Doux, Dj Athome, Front de Cadeaux.. On aime vraiment bien ce qu’ils font. On pourrait les classer dans cette scène plus globale actuelle de Dark Disco, même si ce terme est un peu rejeté par la scène, il définit plutôt bien le style qui colle à cette période sombre.
On n’est pas surpris d’apprendre que Giac est psychologue hypno-thérapeute et Tepat, développeur interactif. Le son de You Man peut être très trans-hypnotique, tout comme les vidéos. On peut y voir une forme d’art-therapie ?
C’est intéressant que vous parliez d’art thérapie ! On n’y avait pas pensé, mais c’est vrai que quand on joue en public, on a envie de créer des expériences qui changent, autant nous-mêmes que les personnes qui sont en face de nous. Clairement, on essaie de transmettre une véritable invitation à ne plus penser, à se laisser aller comme si plus rien de grave n’existait autour. Notre installation interactive va dans ce sens aussi : regarder son reflet se mouvoir, se déformer, s’onduler, a quelque chose de très apaisant.
Et la culture du GIF, référence geek, les images VHS ? On a cette impression que le projet s’inscrit dans une approche post-technologique à la Black Mirror (la fameuse série SF à succès). Du coup, c’est quoi votre avis sur le « progrès » ?
On aime le progrès dans le sens où il nourrit la créativité et la culture. Par exemple, la musique électronique ne serait jamais arrivée sans les synthétiseurs loopés et les arpeggiators qui voulaient simuler un toucher de clavier impossible. Il en va de même pour la House et la Techno avec les boites à rythmes qui voulaient juste remplacer les batteries et finalement ont permis de réaliser des trucs impossibles à faire avec une vraie batterie. Chaque fois que les machines rendent possible quelque chose d’impossible, l’humain peut aller plus loin, et éventuellement se dépasser dans sa créativité.
Personnellement, on a plutôt tendance à se limiter niveau matériel, ce qui semble stimuler notre créativité. Mais on aime aussi beaucoup les “ratés” technologiques, comme les glitches, les bruits blancs, qui naissent souvent de manière aléatoire.
On imagine que l’EP « Altered States » est né pendant le confinement ? Le clip du titre éponyme montre une sorte de médecin de peste qui danse et déambule dans une nature toute puissante. Est-ce qu’on aurait un peu perdu de notre identité d’humain pendant cette crise ?
Et pourtant non ! Le clip de ‘Altered States’ a été tourné en mars 2019, bien avant le Covid ! Bien sûr son côté personnellement prémonitoire était troublant, on s’est même demandé s’il fallait le sortir vu le contexte actuel. Finalement, on a profité du confinement pour faire le montage et y ajouter quelques gifs hypnotisant, pour mélanger l’image que la nature nous montre et l’image qui existe en filigrane, derrière le voile.
C’est quoi l’endroit idéal pour écouter You Man (hors période COVID) ?
L’endroit idéal pourrait être une plage de la Côte d’Opale, avec un sound system monté sur un van, en pleine nuit pendant une canicule.
Et en période COVID ?
Au même endroit 🙂
Vous avez vécu comment l’arrêt des concerts / festivals ?
On était triste car pas mal de belles dates ont été annulées ! On était ravi par exemple d’aller jouer à Tunis, mais ça ne s’est finalement pas fait. Pas grave, ça n’est que “party” remise !
Un prochain album est annoncé, c’est pour quand ? On y trouvera des collaborations ?
Oui il est en cours ! On se laisse du temps et des expériences pour avancer dans ce projet-là. Penser un album, pour nous, c’est vraiment composer une bonne dizaine de titres qui ont un rapport les uns avec les autres, et qui peut s’écouter du début à la fin. On y travaille progressivement, mais on ne peut pas encore citer les collaborations, car elles ne sont pas toutes validées. On peut juste vous dire qu’on en est content 🙂
D’ailleurs, c’est quoi votre collab rêvée ?
On rêverait de bosser avec Damon Albarn, tout ce qu’il touche, c’est parfait. Ou sinon Post Malone, on a un track pour lui !
On aimerait beaucoup faire un morceau sur mesure aussi pour Victoria Legrand, la chanteuse de Beach House ! Et aussi pour Fishbach. Elles ont toutes les deux des voix très rares !
Et pour s’amuser, on aimerait aussi passer un peu de temps en studio avec les Chemical Brothers, et aussi Jean-Michel Jarre.
On va finir sur votre meilleur souvenir live, c’était où et quoi ?
Solidays, c’était notre plus grosse date ! On jouait juste après Tale Of Us, qu’on aime beaucoup, et ça déjà c’était incroyable. Tellement énorme et tellement de lights de fou qu’on ne voyait pas bien le public ! En sortant on a demandé à nos potes s’il y avait eu du monde, et ils ont bien ri : il y avait 8000 personnes !
Et pour l’anecdote backstage, à un moment on faisait la queue aux toilettes artistes, et même là ,c’était blindé tant la prog était riche. Il y avait un gars juste devant nous, sa tête nous disait quelque chose. Il s’adresse en anglais à un type juste derrière nous et nous prend à parti : “too many people here !” Le type devant c’était Liam Howlett, de Prodigy. Et le type derrière nous, c’était… Keith, le chanteur clown punk ! On ne l’avait pas vu.
On lui dit : “hey, if you’re in a hurry, there are also showers, here” et il répond d’un air malicieux : “cool ! so I’m gonna shit in the shower !”
On était plié de rire. C’était vraiment un punk le gars. Paix à son Âme.
Harmony Suard
Merci Tepat et Giac pour cette conversation. On vous laisse sur le clip visionnaire COVID-style de ‘Altered States‘ :
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